jeudi 11 juin 2009

Européennes à Nanterre : "Je hais le mouvement qui déplace les lignes..."

«Je hais le mouvement qui déplace les lignes». A Nanterre, ce vers de Baudelaire peut servir d’exergue aux résultats de l’élection européenne.

En effet, derrière l’apparent bouleversement enregistré dans notre ville comme à l’échelle nationale, on observe en fait une grande stabilité des rapports de force politiques. Sur fond d’abstention largement majoritaire, la forte poussée des Verts et la victoire relative de l’UMP traduisent des transferts de voix au sein de deux blocs Droite et Gauche globalement invariants, le MoDem réalisant pour sa part un score inchangé par rapport aux Européennes de 2004.

Dans ce contexte de stabilité Droite/Gauche, l’équilibre entre centre-gauche et gauche radicale reste lui aussi conservé. Au final, comparés à l’élection européenne de 2004, ces résultats spectaculaires traduisent «simplement» d’une part le report d’un électorat PS vers les Verts, d’autre part le report d’un électorat souverainiste ou frontiste vers l’UMP.

Il convient donc de ne pas s’exagérer la portée de ces résultats. D'abord, ils ne bouleversent rien quant au fond. Et ensuite, il faut garder à l'esprit qu'une élection européenne n’est pas une élection locale, et que les voix de gauche comme celles de droite peuvent aisément aller et venir au sein de leur propre camp. Envoyer des députés Verts au Parlement européen est une chose ; voter pour un député ou un maire Vert en est une autre, bien différente.


Une abstention qui frappe deux électeurs sur trois.
L’abstention, à Nanterre, atteint 62,55 %, soit presque deux électeurs sur trois. C’est plus que la moyenne nationale, déjà fort élevée (59,35 %), et largement plus que la moyenne des Hauts-de-Seine (54,39 %).
On constate que cette abstention est essentiellement due aux électeurs des quartiers populaires. En effet, les bureaux «résidentiels» du Centre ou du Parc-Nord affichent des taux d’abstention moyens, tandis que ceux des quartiers populaires ou défavorisés connaissent une participation beaucoup plus réduite :

Bureau 5 (Ecole du centre) : 45,97 % de participation
Bureau 6 (Parc des Anciennes mairies) : 47,59 %
Bureau 7 (Maison des associations) : 51,13 %
Bureau 38 (Elsa Triolet - Parc Nord) : 45,11 %
Bureau 39 : (Pablo Neruda - Parc Nord) : 45,05 %

Bureau 13 (Anatole France) : 29,55 %
Bureau 14 (Provinces françaises) : 29,88 %
Bureau 31 (réfectoire J. Decour) : 25,05 %
Bureau 36 (salle J. Decour - Parc Sud) : 26,81 %
Bureau 37 (Maxime Gorki - Parc Sud) : 25,33 %
Bureau 40 (Pablo Picasso - Parc Sud) : 33,60 %

Si les populations défavorisées de Nanterre ont pu trouver l’enjeu européen éloigné de leurs préoccupations, elles n’ont donc pas pour autant saisi cette occasion pour exprimer un vote protestataire. Cela étant, même à l’élection municipale, l’abstention à Nanterre est toujours supérieure de 2 ou 3 points à la moyenne nationale.


Un trio de tête qui reproduit les résultats nationaux et régionaux, mais une victoire des Verts qui confirme l’ancrage à gauche de notre ville.
Le trio de tête dans cette élection est composé de l’UMP, des Verts et du PS. Ce résultat est conforme à ceux observés tant nationalement que sur la région et le département. Cependant, alors que l’UMP arrive premier en France, en Ile-de-France et dans le 92, il n’est que second à Nanterre avec un score inférieur d’un tiers à son résultat national. Ces chiffres confirment que Nanterre demeure une ville de gauche.


Toutefois, le Front de gauche n’arrive que quatrième à Nanterre, réalisant le plus mauvais score des quatre villes communistes du département (avec Bagneux, Gennevilliers et Malakoff). Cela est également vrai si l’on additionne, dans chacune de ces quatre villes, les scores du Front de gauche, du NPA et de Lutte ouvrière.


Il y a donc lieu de se poser la question : Nanterre est certes une ville de gauche, mais de quelle gauche exactement ?


Une forte poussée des Verts et de l’UMP, mais qui ne bouleverse pas l’équilibre entre gauche et droite.
Par rapport aux Européennes de 2004, les Verts et l’UMP enregistrent chacun une croissance spectaculaire.

Ce résultat, qui reproduit la tendance nationale, ne modifie pourtant pas le rapport de force entre droite et gauche nanterriennes. En effet, les croissances enregistrées par les Verts et par l’UMP se font par transfert au sein de chacun des blocs :


Le tableau ci-dessus masque évidemment quelques transferts marginaux de la droite vers la gauche ou le centre. Par exemple, l’électorat UDF de 2004 ne s’est sans doute pas reporté totalement sur le MoDem, puisqu’une partie a dû aller vers le Nouveau Centre (liste UMP) et se voir compensée par les voix qui, en 2004, s’étaient portées sur Corinne Lepage, voire sur le PRG. De même, il se peut qu’une partie des voix FN de 2004 se soient reportées vers le Front de gauche… Mais globalement, on constate une grande stabilité des blocs : 36% pour la gauche social-démocrate, 25% pour la gauche radicale, 27% pour la droite...


La social-démocratie est-elle majoritaire à Nanterre ?
Au final, les résultats de cette élection dessinent une géographie politique nanterrienne assez clairement délimitée :
Droite extrême (FN, souverainistes, etc.) : 6 à 8 %
UMP / NC : 20 à 25 %
Centre : 8 %
Gauche social-démocrate (PS, PRG, Ecologistes…) : 36 à 38 %
Communistes et Extrême-gauche : 22 à 23 %
Divers (listes protestataires) : 2 à 3 %

A en juger par cette élection, la gauche social-démocrate serait donc majoritaire à Nanterre. D’où vient alors que la ville est tenue, et solidement, par le parti communiste (ou du moins, par des sympathisants proches du parti communiste) ? C’est que les chiffres tirés de cette élection ne représentent pas toute la réalité politique nanterrienne, et ce pour trois raisons :

- d’abord ils sont obtenus sur fond de 63 % d’abstention. Même si l’abstention est traditionnellement très forte à Nanterre, il existe bel et bien un réservoir de voix qui ne se sont pas exprimées ici. Ces voix manquantes étant majoritairement celles des quartiers populaires, on peut imaginer que lorsqu’elles s’expriment, c’est plutôt pour soutenir le PC et la gauche radicale.

- ensuite, une élection européenne n’est pas une élection nationale ou locale. Les enjeux étant perçus comme faibles, l’électeur peut se permettre d’exprimer à travers son vote une sensibilité ou une préoccupation qui deviendrait peut-être secondaire face à des enjeux le touchant plus directement. De plus, dans bien des cas (Législatives, Municipales, voire Cantonales…) la dimension personnelle des candidats joue beaucoup. Ainsi, aux Législatives de 2007, la candidate PC réalisa au premier tour un score de 34,72 % qui dépassait le socle électoral de son parti et s’expliquait largement par sa cote d’amour personnelle auprès des Nanterriens.

- enfin, d’une élection à l’autre, l’offre politique ne reproduit pas forcément les clivages mis en évidence par cette élection européenne. Ainsi, aux Municipales de 2008, les Nanterriens se sont vus offrir d’emblée une liste unissant PS, PC et Verts, ce qui interdisait évidemment toute nuance… et s’est soldé par une victoire dès le premier tour (56,4 %) avec, depuis, une écrasante hégémonie du PC sur ses alliés.


En définitive, cette élection permet, en fixant quelques repères, de se faire une idée plus juste des rapports de force politique à Nanterre… et de leur stabilité. En particulier, elle permet d’apprécier l’existence et l’ampleur d’un vote de centre-gauche susceptible de représenter pour l’avenir un potentiel de voix important. Mais il faut se garder de conclusions hâtives : aux Européennes de 2004, le PS de Nanterre avait obtenu 25,13 % des voix et les Verts 6,59 %. Trois ans plus tard, aux Législatives, ils réalisaient respectivement 14,3 % et 2,86 % face à une Jacqueline Fraysse, ex-maire et député sortant qui avait su se rendre légitime aux yeux de très nombreux Nanterriens. Pour se concrétiser à Nanterre, le vote de centre-gauche devrait donc conjuguer une liste d’union Centre-PS-Verts et une tête de liste connue ou reconnue. En somme, l’équation qui a permis à Dominique Voynet de remporter Montreuil en 2008…


Ch. Romain




4 commentaires:

Anonyme a dit…

j'ai fait la même analyse sur les élections européennes à Nanterre, avec un bémol.
Le transfert des voix du PS vers les verts marquent un début de vote BOBO. Le problème du PS s'est qu'il n'a pas de leader charismatique , ce qui laisse le champ libre au PC. Le PS doit s'émanciper du PC et les verts grandir.

le chemin sera encore long. tant que certains élus du PS se demanderont s'ils vont obtenir des sièges en cuir pour leur voiture de fonction, le PC peut vivre des jours tranquilles pendant longtemps.

Ch. ROMAIN a dit…

Pourquoi serait-il plus "bobo" de voter Verts que de voter PS ? Il me semble que ces deux votes, à Nanterre, émanent en partie d'une même catégorie socio-professionnelle, susceptible de passer aisément d'un bulletin à l'autre suivant l'importance perçue de l'enjeu. c'est ce que semblent montrer les chiffres.

citoyen europe Nanterre a dit…

Au delà des avantages liés à un poste , avantages matériels et symboliques fort tentants bien sûr, le blocage que l'on constate chez les socialistes, année après année, révèle surtout une peur de gouverner notre ville et probablement aussi, le sentiment qu'ils ne sauraient pas faire mieux que le chef en place.
Observons-les dans leur comportement face à l'innovation de citoyens éclairés : au lieu de soutenir et de relayer les bonnes idées d'action politiques expérimentales, en défendant les projets au sein du bureau municipal, ils préfèrent ignorer ce ferment et se ranger sagement derrière le pouvoir en place plutôt que de tenir tête.
C'est fort dommage parce qu'ailleurs, des nouvelles municipalités socialistes voire écologiques (y compris gagnées sur le PC) savent travailler avec ces forces vives, proposent intelligemment un cadre politique et financier pour aller plus loin. Les socialistes ont encore besoin de grandir, besoin aussi de remettre en question leurs rapports individuels et collectif à l'Appareil.
Beaucoup de leurs concitoyens attendent sans trop y croire, qu'un jour enfin, ils prendront le risque de réussir l'union avec les autres forces de gauche non communistes, notamment les Verts, le Modem et aussi des associatifs.
Mais peut-être que d'autres réussiront à mieux convaincre ? A suivre

Démocratie nanterrienne a dit…

Votre commentaire ne manque pas d'intérêt, mais pourriez-vous donner un ou deux exemples de ces "innovations de citoyens éclairés" que le PS, selon vous, n'aurait pas su ou pas voulu "soutenir et relayer" au sein du conseil municipal ?

Par ailleurs, s'il est exact que le groupe "Gauche démocrate" et ce blog lui-même regroupent des membres du MoDem dont la sensibilité est plutôt de gauche, on ne saurait pour autant ranger le MoDem, comme vous le faites, au rang des "forces de gauche non communistes". Le MoDem souhaite précisément sortir de ce clivage, ce qui n'est certes pas facile mais constitue à la fois l'une de ses ambitions et l'une de ses originalités.